Dans le grand récit que propose Yves Bergeret, en dialoguant avec les peintres paysans du Mali, émerge le triptyque des hommes-pierre, sable et onde

Ce retour aux éléments fait résonner en moi la question de l’ancêtre et de la transmission.

Car qu’est-ce que l’ancêtre ?

On dit que ce qui est ancien est ce qui s’arrête à temps au risque de dégénérer, de s’éloigner ou de disparaitre.

Et l’ancien est aussi ce qui conserve sa nature, là où le vieux doit laisser la place. Dans le legs aux plus jeunes, l’ancêtre entre dans le processus de régénération, dans la mesure où il accepte de rompre ce qui pourrait rester immuable d’une tradition pour accepter que des événements non prévus transforment le rite.

Dans ce triptyque, il est intéressant de voir que peut-être dans la proposition chronologique qui est faite , une transformation se produit depuis l’homme pierre, dur, résistant, avec les qualités et défauts de la pierre, son assise, sa pérennité et sa constance, et aussi son tranchant, son immuabilité figée peut-être ou son entêtement, à l’homme sable, rocher soudain désagrégé, explosé et mouvant, vers l’homme onde, fluide, courant, fuyant.

Rapporté à la situation des hommes du village de Koyo, apparait le grand récit du drame humain d’un côté et des ressources de l’autre. Le récit de l’histoire collective qui se joue aujourd’hui à l’échelle de régions du monde en guerre et le récit singulier de ceux qui partent et de ceux qui restent avec le même péril, celui de disparaitre.

A ce stade, les poèmes de Bergeret sont faits de mots pierre, de mots sable, de mots onde, de mythes qu’il raconte et réinvente comme pour faire revivre le temps de l’ancêtre (un paradis perdu ?) depuis les dessins des paysans Belco, Dembo. Il n’est pas anodin que ceux-ci ainsi que nous le dit Bergeret que ceux-ci soient « zumgun », chanteurs des rites secrets de grand passage pour la circoncision et l’enterrement et soient donc les médiateurs de ces rites de transformation.

En revenant au minéral et donc à l’élément fondateur chez Bergeret, c’est-à-dire la montagne, il revient à l’ancestral, comme à une généalogie, avec ce que la montagne protège et nourrit, ce qu’elle cache et ce dont elle s’embellit, ce courant clair de torrent légèrement ocré comme le sable du désert, lui-même dégradé des montagnes orange du Mali.

Il noue également là le dialogue ininterrompu entre montagnes du Diois et du Mali, dans ce minéral ancien du poème, en appui sur le réel (histoire présente) et les représentations qu’elle génère.

De ces poèmes d’un espace habité, créatif et de culture, il fait aussi apparaitre en creux un espace inhabitable de danger, de violence, d’isolement, de destruction.

Le geste créateur du peintre puise à la source, l’onde pour faire apparaitre un devenir, qui croit, une force d’énergie du minéral, un chant de la vie qui passe par la pierre, le sable et l’eau.

En lisant ces poèmes, il émane de ceux-ci un corps sonore, une force spirituelle qui conjugue deux directions : des outils pour penser et pour aimer, c’est-à-dire la forme des choses sensibles, une mystique, un vide de la forme (au sens positif) et le meilleur des couleurs.

Il s’opère ici une rupture avec la montagne secrète, mystérieuse, à la fois physique (de la pierre au sable et à l’onde) et métaphysique jusqu’à l’intelligence de la vie. De ce retournement (déjà présent dans l’œuvre de Bergeret), il nous inspire et nous illumine, en ces poèmes où l’ancêtre s’arrête avant l’oubli qui fait dégénérer toute forme de sagesse.

En gardant trace et symbole de l’humain au travers des hommes pierre, sable et onde, il nous propose un langage à écouter, en écho au célèbre poème « Souffles » de Birago Diop.

« Ecoute plus souvent Les Choses que les Etres La Voix du Feu s’entend, Entends la Voix de l’Eau. Ecoute dans le Vent Le Buisson en sanglots : C’est le Souffle des ancêtres. »

Cette écoute est tangible dans le geste créateur du peintre dans les triptyques, par la présence des dessins des paysans peintres, leur énergie vitalisante qui réveille ; dans l’intention du poème intervient comme une voix, dans cette interrogation très ancienne de la théorie des lettres sur ce qui est premier et nous dépasse : autant de contiguïtés artistiques que réveille le travail de Bergeret en nous invitant à porter attention, et pourquoi pas à prendre soin de ?

Nicole Barrière

12/07/2016

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