On revient toujours place de Mai, c’est le point d’origine, l’ombilic de la ville, il s’y passe toujours quelque chose.

La place de mai est toujours investie par des manifestations de toutes sortes, politiques, ethniques, de commémoration, de protestations.

Les différentes communautés y pratiquent force démonstrations de folklore et danse, de musique et vendent leurs spécialités.

Et puis il y les  Mères de la place de Mai dont les enfants ont  disparu assassinés pendant la  guerre sale  de la dictature militaire.

Dans le but d’atteindre la paix, la sécurité, l’ordre et la stabilité politique, économique et sociale, le « Proceso de reorganización nacional » (Processus de réorganisation nationale) de la dictature militaire a eu pour objectif d’extirper la subversion que constituent les guerilleros, les militants de gauche, leurs sympathisants, leurs familles, et plus généralement toute personne suspecte puisque la « doctrine de sécurité nationale » repose sur l’idée que n’importe qui peut être un subversif caché. Dans le cadre de ce « processus », la méthode des enlèvements et de la « disparition » forcée des personnes est appliquée par l’ensemble de la hiérarchie militaire. Elle représente l’armée absolue dans la guerre « antisubversive » puisque elle permet à la fois une répression sans limites à l’intérieur des prisons (tortures puis exécutions), et un secret bien gardé à l’extérieur : personne ne s’aventure à dénoncer les disparitions de peur de devenir lui-même un disparu.

La méthode de « disparition forcée »avait déjà été employée avant la prise du pouvoir par les militaires, en Argentine puisque dès septembre 1975, le gouvernement constitutionnel d’Isabel Perón autorise par décret les Forces armées à « anéantir la subversion ».

C’est par cette méthode que l’armée a réussi à taire la voix populaire : en isolant les opposants potentiels, en les exécutant :

28 % des disparus sont des femmes. Ceci montre que si les militaires s’attaquent en premier lieu aux militants, de préférence politique ; c’est ensuite que toute la société peut être touchée, et notamment ceux qui cherchent à en savoir plus sur les disparus.

 « D’abord nous tuerons tous les subversifs, puis nous tuerons leurs collaborateurs, puis leurs sympathisants, puis ceux qui seront restés indifférents, et enfin, nous tuerons les indécis. »

Le cas argentin se démarque des méthodes employées par les autres dictatures du fait de la clandestinité totale des actions et de l’étendue de ces pratiques dans le temps et l’espace. En effet, ces pratiques couvraient tout le pays. Selon les chiffres de la CONADEP, entre 1976 et 1982, 340 centres d’arrêt clandestins opèrent, répartis sur 11 des 23 provinces argentines. En la désignant « technique de la disparition », la CONADEP met l’accent sur le fait que la violation des droits de l’homme s’est faite de manière organique et systématique, selon une méthode identique dans tout le pays.

On évalue à 30 000 le nombre total de disparus. Depuis près de trente ans, elles se sont battues pour retrouver leurs enfants enlevés par la dictature militaire, plusieurs  des fondatrices ont été assassinées.

« L’irrationnel, l’inattendu, la nuée de colombes, les Mères de la place de Mai, font irruption à n’importe quel moment pour mettre en pièces et bouleverser les calculs les plus scientifiques de nos écoles de guerre et de sécurité national. (…) Continuons à être fous : il n’y a pas d’autre moyen d’en finir avec cette raison qui vocifère ses appels à l’ordre, à la discipline et au patriotisme. »  Ces propos de l’écrivain argentin Julio Cortázar suffiraient presque à résumer ce que représente le mouvement des Mères de la place de Mai .

En signe de protestation, les Mères portent des foulards blancs (à l’origine : les langes en tissu de leurs bébés) pour commémorer la disparition de leurs enfants. Devant le siège du gouvernement, la Casa Rosada, elles se rassemblent tous les jeudis après-midis et tournent sur la place pendant une demi-heure, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, remontant symboliquement le temps et critiquant l’impunité des militaires responsables des massacres et des tortures.

« Nous ne vendrons jamais le sang de nos enfants. Il n’y a pas d’argent qui puisse payer la vie de ceux qui l’ont donnée pour le peuple. Les réparations économiques nous répugnent, nous voulons la justice. Nous voulons la prison pour les assassins, qu’ils soient incarcérés. (...) Nous ne voulons pas non plus de monuments, tout est sur la mort, monument aux morts, réparation pour les morts, exhumation des morts, musée des morts. Nous les Mères avons lutté toute la vie pour la vie : nous n’avons jamais imaginé que nos enfants pouvaient être morts »

Curieusement les commentaires des guides de la ville n’en parlent pas.

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