Quelle est la posture de témoin du poète aujourd'hui?

Cette question oblige à se positionner par rapport à l'histoire et aux courants poétiques qui ont traversé l'histoire depuis la fin du XIXème siècle.

Nos aînés ont ouvert des débats sur la poésie depuis Rimbaud et Lautréamont, puis le surréalisme et les poètes de la résistance jusqu'à la revue « change » des années 68.

Ces débats sont sources de réflexion des écrits jusqu'à aujourd'hui, car ils sont le signe d'une prise de position à un moment de l'histoire.

Cette antériorité nous amène à nous questionner à notre tour sur les mots et leur sens , sur l'état du monde aujourd'hui et sur les valeurs que nous voulons inscrire dans notre époque .

Poésie , résistance et utopie : ces trois mots pour moi répondent aux grands courants qui ont marqué le siècle précédent.

Dans le monde actuel, nous sommes confrontés à l' horreur humaine comme les poètes du siècle précédent , nous sommes confrontés à la même honte et au même désarroi. Comment répondre dans la langue universelle de paix qui est le propre du poétique?

La francophonie ne s'arrête pas à l'expression en langue française, ce que transmet la langue et ceux qui écrivent en français a une autre dimension, pas seulement d'universalisme qui pourrait faire penser à un néo-colonialisme.

La francophonie et les valeurs qui s' attachent est un lieu de construction collectif où les poètes de différentes cultures, de différentes langues choisissent de s'exprimer , d'être traduits et d'être publiés.

Ce lieu de construction de la mondialité c'est à dire du dialogue des peuples entre eux est un espace de création , de débat autour de nos exils : exil individuel du poète, exils collectifs de tous les déplacés , de tous les immigrés. Ce lieu doit être le lieu de leur parole :

  • lieu de la parole poétique et du travail de la langue, car chaque époque revisite les mythes et les idées dans des formes qui lui sont propres, où se recréent et se créent les réponses au contemporain.

  • Lieu de résistance dans le témoignage que doit porter le poète sur son temps , « embarqué dans la galère de son temps » tel que le rappelait Albert Camus, il n'a pas le choix de « ramer comme les autres ». Sur cette question, il est intéressant de savoir que le modèle de résistance des peuples palestiniens , afghans , irakiens se sont inspirés du modèle français et l'ont réinvesti. Cette filiation a au moins trois sources historiques : le siècle des lumières, la révolution française et la résistance de la seconde guerre mondiale. Puissions nous en être dignes!

  • Lieu d'utopie et de rêve car dans le même temps où se travaillent langue et résistance, les poètes se mettent en marche pour gagner des terres d'espérance sans frontières. De cette combinatoire la langue, les langues sortent enrichies , la poésie sort grandit car elle ouvre de nouvelles voies de création où la pensée du persan perfuse vers celle du français, qui l'accueille, la pensée vietnamienne nous revient au travers du latin et des chansons de Piaf, la pensée latino-américaine ou africaine nous ramène les combats pour la liberté des guerres d'indépendance. Il ne s'agit pas de piller les autres , ou d'être pillé mais de ressentir cette humanité qui se dessine aux interstices , à cet écart du poétique qui est source de nouveaux rêves d'être ensemble.

Nous sommes tous des poètes exilés! Et lorsque nous sommes en présence d'autres poètes exilés, accueillons les avec la tonicité de leur accent qui fait chanter autrement nos mots , accueillons-les avec les mots qu'ils inventent entre deux langues, avec les intonations propres de leur résistance, accueillons dans le délire de leur langue autre qui est la langue même de la poésie.

La poésie est transgression , la traduction est trahison, mais ce sont ces enjeux rebelles qui donnent sens au travail du poète , qui donne sens à sa responsabilité d'être au monde.

Et cela se construit individuellement sur la page blanche et collectivement dans l'inconscient noir du monde.

Nicole Barrière 14/10/07

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L
Oui, la poésie comme lieu de prise de parole. La poésie comme lieu de réalisation et d\\\'expression de nos utopies.<br /> Oui à une poésie qui est voix engagée dans le monde, transgression au sens de transcender le réel et lui donner universalité.<br /> Le poète a une responsabilité, sa langue s\\\'inscrit dans les profondeurs de l\\\'humanité. El se confond d\\\'ailleurs avec cette formidable acquisition.<br /> Mais dans un temps où il est si difficile, dans la médiatisation forcenée de la littérature, de trouver éditeur, le poète doit se résigner à l\\\'exil sur son propre territoire, au retrait pour ne pas compromettre sa parole.<br /> Pour ma part, mon dernier lieu de liberté est sur un blog difficile à trouver: suivre le lien "Atelier du poète sur mon site www.conscience-en-mouvement.com . <br /> Xavier Lainé, fondateur de "Itinéraire des poètes" et de la revue "22 (Montée) des poètes", retiré de la poésie spectacle depuis 2003, inédit, ses éditeurs ayant un à un fait faillite.
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