« Où est l’ombre de l’homme appuyé à l’ombre,
Où est son image oubliée aux fers,
Où est son cri sur le silence des éclairs »  ?

Genviève Clancy / Philppe Tancelin

extrait de « Un brasier dort sous l’écho »

publié dans Multitudes en 2004, publié la 1ere fois en 1995


C'est le monde pris dans la langue et qui tangue avec elle.
Des petits riens , des je ne sais quoi brisés et l'ouvert de « ces horizons qui nous précèdent », de garder le contact avec la réalité la plus proche pour en capter l'invisible et réveiller l'inerte, la dire là où elle déstabilise, au plus près, là où elle bouleverse toute l'existence, l'habitude qui rogne les rêves. 
« Il faut laisser venir cette parole pour une existence exilaire, celle d’une conscience de rupture. »GC/ PhT
Brutal réel troué, déjà en ruines avant d'être advenu, les abords de la connaissance, les niveaux qui tentent de se parler aux interstices comme en secret des murs des casernes lorsque les soldats alignés en uniforme, s'inventent le désir d'être et d'aimer aux heures acides de la violence.
« On étouffe entre des mots où l’espoir s’éternise d’une indivisible langue »GC/ Ph T
Alors la langue se fait trouvaille pour restaurer le chant, dans l'air du poème. Curieux trouvères que ceux-là en attente aux stations du taire, au réverbère d'un carrefour ordinaire sur un monde banal.
Souvent ces poèmes tiennent du récit , du reportage, pour nous apporter des nouvelles de ce monde alarmant car il faut témoigner et atteindre un nouveau degré de conscience.
Dans quel regard perdu et morcellé de l'unité du monde intelligible s'invente le poème? Présence , intériorité à soi-même, les circonstances donnent l'impulsion, destinée seulement à qui sait la lire, ces morceaux choisis de la langue poétique de Philippe Tancelin et Geneviève Clancy sont un palimpseste où l 'écriture ne trafique pas, un temps où la frontière entre la vie et la mort passe par le guet de l'effroi quotidien de la brutalité contemporaine.

« Dans l’horizon glaciaire d’un rationalisme qui dissout la parabole, l’allégorie, la passion, la mémoire s’engloutit » GC/Ph T

Entre l'intime et le multiple, la fiction, la superposition détournent les silhouettes , reconfigurent les âges, elles mêlent le même et le semblable dans les accords et désaccords de l'écriture; elle accueille les rêves, les passions et les lassitudes d'un temps primaire de détresse à un autre temps complexe , sophistiqué de désarroi et de chimères qui nourrissent l'espoir.
Lorsque sur le temps, le rêve pose son aile, l'homme qui semblait plus que jamais seul avec sa plainte, reste dans la partance, le perpétuel entre-deux de cette nostalgie . Demeurer en partance, telle la barque tirant sur sa corde qui l'attache au rivage, pour choisir d' embarquer à des quais de haute mer, tout en élisant un lieu pour rester .
En les allées perdues de la mélancolie, s'éprouvant à jamais différent face à la braise de la chair déclinée en rêveries qui se perpétuent dans des figures d'oiseaux, comment ne pas être triste, l'oeil collé contre le carreau, quand on connait tout du vent , qu'à marée basse sur la grève toute nue reviennent ce qui reste du réel, ces silhouettes amantes, une fois l'irréel congédié, et une fois que s'avère définitivement perdue la figure même de l'homme .
Cette mélancolie résonne comme celle du premier homme, historique résistant quand sa poésie prend acte d'un temps désemparé
Quel chemin suivre dans ce bafouillement d' histoire qui aurait perdu la tête? il reste l'amour en son accompli : la poésie
Depuis l'aube des jours, il s'agit capter ce chant sans rancune ni nostalgie, se souvenir des objets d'amour disparus les fois où on tremblait parce qu'on était vivant, garder au coeur une promesse, à fleur de larmes : l'amour extrême
Etre heureux encore, bien que perdu, cependant dans la nuit épaissie , on croit aux mots que l'on chuchote. Aux derniers feux du soir , chercher aussi le juste chemin jusqu'au lieu le plus calme, qui passe à travers champs ou qui traverse la nuit jusqu'à l'apaisement.
Mais la poésie De Geneviève Clancy et de Philippe Tancelin est avant tout une affaire de langue, travaillée, tendue ou tordue jusqu'à rendre un son inouï, par son rythme, elle est à même de vaincre la paralysie dont l'histoire la menace. La langue redevient voix en orages rauques , en danse ou juste posée à la ligne de flottaison du texte,
Ce sont les appels, des coups ,des colère, l'afflux et le reflux, des poussées et des ondulations du verbe ; ce sont les exclamations entre le proche et le lointain, afin de désenfouir les signes cachés ou perdus,ce parler d'aveugle au goût bleuté par l'indicible.

« Le grand ordre entend la justice, la beauté, l’amour comme des clameurs tombées à terre entre des arbres rendus fous par le sang des oiseaux. » Ph T /GC

Qu'ils écrivent là où les mots se précipitent, ou là où ils viennent à manquer, Geneviève clancy et Philippe Tancelin insistent, cherchent à dire, ne se résignent pas à l'impuissance ni à l'état de fait. Face aux grèves de la mer, les poètes font une espèce d'offrande, l'adressent à quelqu'un , semblable parmi le multiple, la parole se tourne vers l'autre, l'appelle, le cherche, l'invente, lui imagine une enfance buissonnière , recompose la clairière, l'arbre et l'oiseau pareils comme des êtres de vraie présence.




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