Les fonds d'éveil

de Philippe Tancelin

Poésie, Edition l'Harmattan


Une langue est le silence de l'autre


Dans quelle langue cachée parlent les poèmes de Philippe Tancelin? la poésie qu'il revendique est la langue du dévoilement de l'in-vu, mais à la lecture de ses poèmes , pour peu qu'on se laisse aller à rêver , une autre langue parle dans la distance qu'il met des mots à leur sens, la langue cachée de la solitude blanche des êtres, à laquelle la langue d'amour fait défi.

Dans le dépouillement des poèmes , dans leur tourbillon s'élève la grande rumeur des paysages de l'âme , quand elle se laisse déborder par la litanie du texte, c'est comme s'il nous livrait une langue étrangère , une traduction dont le poème original aurait été écrit dans la langue de l'amour.

Mais alors pourquoi cet effacement d'une langue par l'autre? Pourquoi ce chaos à la frontière du texte? D'une langue à l'autre, la solitude sur le territoire du texte, comme s'il était orphelin de la langue, comme si dans la langue de l'indépendance respirait une autre langue, encore étouffée.

Pour border ce chaos, au lieu de se laisser porter et border par la langue de l'amour, il balise d'aphorismes souvent cinglants, ces béquilles de la philosophie quand elle prétend justifier le poème et ne fait qu'ouvrir très grands les blancs du texte jusqu'à l'écartellement.

Langue de l'écart, langue de l'amour? Où se situe l'oeuvre de l'homme?

Quelle transmission possible de l'impossible à transmettre?

Il faut aller jusqu'au bout de soi-même, au bout du dépouillement de l'être pour que l'oiseau sans nid trouve la force, accorder à l'oeuvre une dimension deconnaissance de l'amour, difficile et terrible.

Lorsque le poète retourne à sa terre en essayant de promouvoir la libération des siens encouragé par l'expérience et les idées, il est vu comme un étranger et découvre tragiquement l'isolement face au peuple qui est régi par un ordre qu'il ne comprend pas.

Il peut avoir le désir positif de rédemption mais sans se tromper de chemin: la  vision intérieure de ce qui est poésie donc, parlant la langue d'amour, sa langue maternelle d' enfance et d'adolescence jusqu'au au manque de langage pour transmettre son expérience de solitude.

Pour inventer un langage qui ne déguise pas la réalité, avec la même authenticité, le miracle pour l'artiste , la possibilité, la nécessité d'un acte de création absolue.

Il ne s'agit pas de reproduire la langue maternelle de l'amour, il faut parfois la déchirer et la transformer pour en faire un instrument littéraire unique, créer une fiction qui reconnaisse que quelque chose est perdu en échange de ce qui est gagné, ce qui est important est de garder l'essence du poétique, c'est à dire une interprétation du monde, une révélation de la réalité.

Parce qu'il se consacre à l'art, le poète , l'artiste affirme un défi, en rapport avec ce qui est sacré, entre le banc de sable assoiffé et la terre de la fièvre, la résistance de céder à l'eau.

Alors tout change : la musique, la danse, le chant ne sont plus fête mais mais un rite affreux, qui sert à manifester la douleur: l'esprit lui-même est transformé. Les mots mettent en rapport les blancs du texte en assimilant et en transformant ce qui cesse d'être au moyen de la "crainte mythique", et au moyen du défi comme réponse aux racines, une étoile tombée du ciel.

Faire, changer, reproduire l'expérience mystique comme le fait important de la vie humaine : la naissance, qui exige préalablement le décès , implique un changement de nature : il est un mourir et un naître, un changement de nature qui dérange la figure du monde et que porte la langue.

Le son rugueux, profond et profondément triste, qui prépare l'esprit à mourir. On ne peut pas combattre ce défi, ce lieu sacré , le poème fait entrer dans une dimension magique. Une nuit claire, quand dans l'obscurité, il arrive, il interrompt la vie et nous fait accéder à un temps absolu. La nuit, est tombée, un orage, l'eau, les éclairs courent en illuminant l'air et quand le son de la pluie arrive avec la lumière de l'aurore, qui calme l'orage, quand les nuages deviennent blancs avec la lumière du lever du jour, à cet instant, apparait le poème. Il a sa manière de faire parler les choses. Il est symbole, il fait face à ce qui est sacré, au fur et à mesure qu'avance l'histoire. Il ne ment pas, il ne trompe pas, il respecte le mot engagé, admire la colère du peuple que l'eau ne sépare pas , il a la solidarité de la tâche commune.


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